dimanche 29 octobre 2023

Qui a tué le mousquetaire Atos ?

Je me rappelle avoir commencé cet article en Août 2022 et n'avoir pas eu le courage de le terminer. 

Il faut ajouter que j'ai commencé à constituer une première ligne d'actions Atos à peu près à cette époque, vers les 35-40 € et pensant à cette époque que le repli depuis les 100 € était exagéré. 

Je travaille dans la cybersécurité et je suis bien placé pour savoir qu'Evidian (développeur d'une solution de gestion des identités) représentait une belle société dans un secteur encore en plein développement. Je me rappelle surtout que je considérais la décote d'Atos par rapport à Cap Gemini comme anormale. 

A l'époque, le forum Boursorama bruissait déjà de rumeurs exécrables (et toutes justifiées !) sur l'incompétence absolue de Bertrand Meunier, le président du conseil d'administration de la société. 

C'était aussi le moment où Airbus lorgnait sur Evidian et se proposait de l'acquérir pour environ 4 milliards d'euros. Cette offre qui ne concernait qu'une partie de la société sera finalement annulée en Mars de cette année, ce qui fera plonger le cours de 16% supplémentaires. 

L'année 2023 est vraiment l'année horrible pour le groupe, et en ce qui me concerne mon histoire commune avec cette société s'est soldée ce mercredi 25 Octobre par la vente de mes actions à moins de 5 €, avec une moins value de près de 18 000 €. 

C'est la première fois que j'accepte de perdre autant d'argent pour sauver le peu qui reste et je m'en félicite, tant il est difficile pour moi d'accepter de prendre ma perte. Ironie de l'histoire, le lendemain de ma décision, Atos remontait fortement, porté par des trimestriels encourageants et la confirmation de ses objectifs financiers sur l'année en cours. Et pourtant, je pars soulagé. Le cours vient de remonter, mais je reste persuadé, comme d'autres, que la société est potentiellement en faillite

Comment en est-on arrivé là et qui sont les vrais coupables de ce naufrage financier qui à mon sens est comparable en France aux catastrophes industrielles et boursières que furent France Telecom, Vivendi et surtout Alcatel ? 

Je dois dire que je ne me suis pas assez méfié, jusqu'à ma découverte du blog Atos Bourse

Depuis quelques années, Bertrand Meunier, le président du conseil d'administration d'Atos, bataillait ferme contre Thalès qui se proposait de racheter les activités de cybersécurité pour près de 2,7 milliards d'euros. Quand on sait que l'ensemble du groupe est désormais valorisé moins de 650 millions d'euros, on ne peut que verser une larme.

Les déboires financiers d'Atos ont vraiment commencé en 2020, quand la stratégie d'acquisition forcenée ont mené à de mauvais résultats. Le marché n'a surtout pas compris le projet d'acquisition de la société DXC pour près de 10 milliards de dollars qui n'avait aucun sens par rapport à l'existant d'Atos.

L'acquisition de DXC a été finalement annulée. Et dans la foulée, Bertrand Meunier a annoncé l'arrivée de Rodolphe Belmer à la tête d'Atos en remplacement Elie Girard, un nul, qui avait lui-même succédé à Thierry Breton. 

Cela a été un signal très négatif pour moi. Je connais Belmer en tant que dirigeant d'Eutelsat : je l'ai vu laisser flétrir cette belle société au fil des ans, faisant passer le cours de 30 à 10 €, en dépit d'une situation oligopolistique. Et pourtant, avec le recul, je pense qu'il n'est pas le plus coupable. 

Belmer ne reste que 6 mois en place et annonce lui-même, à la surprise générale (le cours s'enfonce encore plus !) son départ. Après coup, on apprendra qu'il n'a jamais réussi à s'entendre avec Bertrand Meunier. 
Avant de partir, il rend public une séparation en deux des activités d'Atos : 
  • L'activité d'infogérance la plus importante sera conservée sous le nom d'Atos. 
  • Les activités de cybersécurité, de transformation digitale et de "Big Data" seront rassemblées au sein d'une société baptisée Evidian (issue d'un rachat antérieur). 
Comment peut-on à la fois lancer une opération aussi structurante pour l'avenir de la société et dans le même temps quitter un poste de CEO, laissant à son successeur le soin de la mise en place ?

Quoi qu'il en soit, l'annonce par Belmer lui-même de son départ laisse entendre d'énormes tensions avec Meunier, ce qui n'est jamais bon signe. 
Au fur et à mesure des semaines, il est devenu clair que la pseudo-direction était d'une part sans stratégie, et d'autre part complètement sous l'emprise de Bertrand Meunier. 
Ce dernier point a été par ailleurs confirmé par un témoignage anonyme d'un salarié du groupe Atos

L'annonce des résultats du deuxième trimestre 2023 a été le coup de grâce : le cours qui avait réussi à remonter péniblement dans la zone des 14 € a rechuté immédiatement en dessous des 5 €.

On aurait pu croire que la situation ne pouvait pas empirer, mais si : le 1er Août, on apprend qu'Atos va céder à Daniel Kretinsky ses activités historiques (c'est à dire principalement l'infogérance) lesquelles sont regroupées sous le nom de Tech Foundations.

Ce qu'il reste d'Atos se rebaptisera Eviden et se recentrera sur les activités les plus rentables du groupe, en particulier la cybersécurité. 

Outre le caractère scandaleux de cette vente ( comme le démontre le blog Atos.bourse et d'autres journaux, Kretinsky est en fait payé 900 millions d'euros pour reprendre cette entreprise), des voix s'élèvent du côté du monde politique, sachant par exemple que la partie super-ordinateurs d'Atos participe aux calculs de simulation des essais nucléaires de l'armée française. De manière générale, Atos est extrêmement engagé dans un grand nombre de sujets (tels que l'organisation informatique des jeux olympiques). 

A ce moment-là, l'affaire Atos a quitté l'arène du monde boursier pour devenir un sujet politique. 

C'est donc en creusant le sujet que j'ai appris les informations qui m'ont le plus énervé : 

  • Bertrand Meunier, le richissime homme d'affaires (sa fortune est estimée à plus de 500 millions d'euros) est un exilé fiscal à Londres où il ne manque jamais une occasion de traiter les français de fainéants. Il gère beaucoup mieux sa fortune que les destinées d'Atos mais ne souhaite pas pour autant laisser la main à plus compétent que lui. Il s'est arrangé pour évincer René Proglio qui ne voulait pas de la vente à Kretinsky pour organiser l'assemblée générale pendant un de ses voyages. Tous les administrateurs qui ne coopèrent pas sont méthodiquement éjectés du conseil d'administration
  • Meunier n'est pas seulement une crapule, c'est aussi une girouette : il change complètement de stratégie d'une année sur l'autre. Il était prêt en 2021 à racheter DXC pour 10 milliards de dollars et à peine 2 ans plus tard, il fait un chèque d'un milliard à Kretinsky pour se séparer complètement de l'infogérance. Ce type navigue à vue et n'a absolument aucune stratégie. 

  • Meunier n'est pas seulement une crapule, une girouette et un leader sans idées, il est aussi lâche : après avoir soutenu sans réserve l'action de Breton, il s'en est désolidarisé ces dernières semaines en essayant de lui faire passer la responsabilité de la situation actuelle. Ce en quoi, il n'a malheureusement pas tout à fait tort. 
  • On passe totalement sous silence la culpabilité de Thierry Breton, aujourd'hui commissaire aux affaires européennes, qui est l'un des principaux coupables de cette affaire. L'article du Monde décrit comment Thierry Breton, au sortir d'un poste de ministre sous Chirac, n'avait pris la direction d'Atos que pour satisfaire son ego démesuré. L'objectif était clairement de faire d'Atos un leader mondial, ce qui explique en partie la boulimie d'acquisitions qui s'en est suivie et qui a trouvé son apogée lorsque Atos est rentré au CAC40 en Mars 2017. Bien entendu, Breton a cédé toutes ses actions Atos (et Worldline) au plus haut en 2019, soi-disant afin de ne pas être accusé de conflit d'intérêt.
    Dernier exemple en date : la vente de la société Unity au canadien Mitel : cette vente, entérinée début Octobre s'est faite très probablement à une valeur négative. En tout cas, il n'y a eu aucune communication sur le prix, ce qui est un signal négatif pour Atos. 
    Cette société, comme TOUTES les sociétés achetées par Breton, a été en décroissance après son acquisition.


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