jeudi 27 janvier 2022

Vente de ma société

 

Mon retour à ce blog coïncide avec la vente de ma société, Secureware, ce qui en soi, n'est pas étonnant, tant la conduite au quotidien d'une société est un événement chronophage. 

Les raisons pour lesquelles j'ai vendu Secureware sont nombreuses et je ne vais pas les partager sur un blog public, même si mes lecteurs sont aussi nombreux que des spectateurs à une séance en salles du film Lovelace. 

L'acquéreur, le groupe Constellation, au travers de sa filiale, Novahé est une entité vraiment dynamique et ambitieuse qui a su créer une offre cohérente, faire grossir en organique et en acquisitions externes leur chiffre d'affaires pour atteindre en quelques années à peine la barre des 100 millions d'euros tout en restant rentables. Ce qu'ils ont fait est impressionnant. 

Leurs projections et leur ambition m'ont séduit à tel point que j'ai accepté de réinvestir la quasi intégralité de ma plus-value sur des titres de Novahé. C'est pour dire que l'enrichissement personnel ne faisait pas partie des motifs conduisant à la vente. 

J'ai donc vendu ma société, au travers d'une signature électronique, environ 7 ans et demi après l'avoir créée.

J'écris cet article pour essayer de démêler mes impressions et d'analyser les causes de la vente et la difficulté d'être entrepreneur en France, surtout dans cet univers communément appelé des "startups" où sont labellisés la plupart des entreprises informatiques, qu'elles proposent un service ou un produit. 

Au delà de la satisfaction légitime d'avoir recréé de zéro une entreprise, tout en restant rentable pendant toutes ces années, il y a aussi une forte mélancolie relative à cette odyssée, ce qu'elle aurait pu devenir et la difficulté de faire croître une affaire en France. 

Tout d'abord, un peu de contexte : Secureware avait pour avantage et pour inconvénient principal d'opérer dans le domaine de la cybersécurité. 

L'avantage est qu'il s'agit d'un secteur porteur, donc il n'est pas trop compliqué de trouver des clients. L'inconvénient est qu'il s'agit d'un secteur porteur en sous-effectif chronique et donc il est très difficile de trouver des employés convenables, encore plus de les fidéliser. 

Dans mon cas, cela a été un réel problème : je n'ai pas vraiment pu trouver le ou les associés avec lesquels il aurait été possible de structurer l'équipe pour la rendre moins dépendante de moi.
Je pense que c'est majoritairement de ma faute. 
J'ai trop fait assaut d'honnêteté : dans un monde naturellement porté vers le clinquant, il ne faut pas hésiter à travestir un peu la vérité pour attirer les talents. Malheureusement pour moi, ce n'est pas mon style. 

Pour compenser l'absence d'associés, j'ai fait appel à des investisseurs du style "business angels". C'était une erreur majeure et je l'ai payé cash sur le plan de la rentabilité, pour leur plus grand bonheur. 

L'autre point noir est, en France, le niveau des charges obligatoires.  

Même en ayant l'oeil sur tout, le niveau des dépenses incompressibles est tel qu'il faut vraiment prendre des marges incroyables pour s'en sortir. Et je ne parle pas des dépenses induites que sont la comptabilité, le juridique et l'assurance responsabilité civile.   

En bref, pour espérer gagner un euro, il faut au minimum en gagner trois. Cela n'est peut être pas très imagé, mais si l'on veut dégager 100 000 euros de résultat d'exploitation, il faut plutôt viser 300 000 euros. 

Il est pourrait être tentant en examinant le parcours financier de Secureware de se dire que cela s'est finalement bien déroulé, mais cela reviendrait à jeter un voile pudique sur le combat permanent que cela a représenté. 

On parle souvent de la difficulté de créer son entreprise en France et cette expression est très trompeuse. Il est, au contraire, extrêmement facile de démarrer une société. Ce qui est vraiment délicat, c'est de faire croître une entreprise en conservant une certaine rentabilité. Le dernier point est de loin le plus important : la majorité, ou devrais-je dire la quasi totalité des "startups" que j'observe ne sont pas rentables et le restent jusqu'à leur rachat.

... Ou jusqu'à leur cession d'activité. L'exemple de Sigfox, l'une des licornes les plus en vue du début des années 2010 est particulièrement frappant. L'entreprise s'est quand même placée en redressement judiciaire après avoir levé plus de 250 millions d'euros. Et ce montant ne prend pas en considération les fonds levés auprès des organismes publics tels que la BPI.  

Je discutais, il y a de cela quelques mois avec le dirigeant d'une de ces startups qui me parlait du nombre de ses salariés, des fonds levés, des projets d'expansion. Je l'ai ensuite senti beaucoup plus discret quand il a fallu parler du chiffres d'affaires. Quant à la rentabilité, il m'a tout de suite avoué que ce n'était pas une priorité. Comme je lui ai moi-même suggéré, vis à vis de ses objectifs de croissance, l'accident de parcours à ce stade, aurait été d'être rentable. 

J'avais déjà créé une société en 1996, iGtech, 18 ans avant Secureware. Etait-ce plus facile ou plus difficile à cette époque ?
Avec le recul, je dirais que l'amorçage était plus délicat : il fallait compter plusieurs rendez-vous pour obtenir une ligne France Telecom, la simple ouverture d'un compte bancaire était un aventure en soi, la numérisation des documents relevait de la science-fiction et donc chaque facture devait être transmise par courrier qui pouvait être perdu... Malgré tout, une fois mise en place, il était bien plus simple de développer son entreprise qu'aujourd'hui, même en étant beaucoup plus jeune que maintenant. Tout ceci n'augure pas d'un avenir paisible pour nos entrepreneurs actuels. ;

Créer et surtout développer une société est une aventure à temps plein. La quantité de projets alternatifs (sports, vie familiale,...) pour lesquels il faut faire l'impasse est phénoménale. 

On parle ici d'un vrai choix de vie, structurant qui a des impacts à tout moment : en soirée, le week-end, pour les vacances...

Je pense que cette orientation aiguillée par l'impérieux désir de réussir ma vie professionnelle est directement responsable d'un grand nombre d'échecs dans d'autres aspects personnels. 

C'est d'ailleurs la source principale de ma mélancolie actuelle : faire autant de sacrifices pour créer une société, c'est un sacerdoce auquel il convient de bien réfléchir avant de s'y engager tête baissée. 

En temps normal, les "startups" qui ne sont pas rentables pendant de très longues années n'existent pas... Mais du point de vue financier, nous avons quitté les temps normaux depuis 2009, et même probablement depuis plus longtemps. J'ai vécu tout ce temps en travaillant avec acharnement pour développer une société rentable alors que, dans le même temps, la norme avait changé. 

Les sociétés d'antan se préoccupaient avant tout de leur rentabilité et ensuite de leur développement. 

A partir du début du 21ème siècle, les entreprises se préoccupent avant tout d'augmenter leur chiffre d'affaires, si possible à la vitesse de la lumière. 

Aujourd'hui, il semblerait que l'obsession principale pour les startups soit d'afficher fièrement le montant des fonds levés. Au diable, chiffre d'affaires et rentabilité. 

Cette préoccupation est valorisée, encouragée même, par le gouvernement français qui s'entiche de ces fameuses licornes, sans prendre en compte les dégâts collatéraux. 
Prenons un exemple très simple, à savoir la dernière licorne célébrée par le gouvernement : Payfit.


E. Macron semble très fier. Réalise-t-il seulement que le chiffre d'affaires de cette startup avec laquelle Secureware a commencé à travailler en 2021, ne crée aucune activité mais qu'elle prend simplement celle des cabinets d'expertise comptable et des cabinets spécialisés dans la paye ? 
Bien sûr, Payfait réalise quelques économies d'échelle en informatisant au maximum (au prix d'un service client moins intéressant) et en finançant son activité commerciale par des levées de fonds successives. 

Quel est le rapport avec Secureware ? 
Le rapport existe sur le plan psychologique : c'est difficile de tout sacrifier et en même temps d'observer que l'on est dépassé voire laissé sur place par des entreprises qui se libèrent de cette pesanteur que constitue l'obligation de rentabilité. 

Et la gestion du mental, lorsqu'on est à la tête d'une petite société, c'est essentiel.
Il faut pratiquement avoir la foi.
Dans mon malheur, j'ai eu la chance de garder cette rentabilité pour laquelle j'ai travaillé d'arrache-pied. Je n'ose imaginer l'état d'esprit des patrons des petites entreprises de construction, de services, artisanales qui peinent à se verser des salaires décents dans notre monde ultra-concurrentiel.  

Une page se tourne. Un nouveau chapitre démarre. Je regrette un peu de n'avoir pas porté l'aventure jusqu'au bout et en même temps d'avoir tant sacrifié pour elle. 

Mais il n'est plus temps de se lamenter;  il est déjà l'heure de repartir à l'assaut des prochaines collines, que j'aperçois au loin...









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